Liviu Nicu, chercheur en micro et nanotechnologies, est rapidement devenu un fin observateur du paysage académique sud-américain. Arrivé au Brésil en février 2022 pour un projet en collaboration avec l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), il est nommé quelques mois plus tard directeur de la représentation du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en Amérique du Sud — l’un des 11 bureaux que l’organisme français déploie à l’étranger.
En tant que directeur, il contribue activement au développement des coopérations scientifiques entre le CNRS et les pays de la région, en s’appuyant sur les partenariats existants et en explorant de nouvelles opportunités de collaboration. Sa première mission l’a amené à travers le sud du continent, du Chili à l’Uruguay, à la rencontre de collègues dans des universités partenaires. Il y présentait notamment un dispositif de coopération innovant du CNRS : les centres de recherche internationaux (IRC).
Dans ce contexte, l’Université de São Paulo (USP) est devenue un partenaire clé pour le CNRS, « grâce à la richesse et à la profondeur de ses coopérations pluridisciplinaires ». En mars 2024, l’IRC « Transitions » a été inauguré sur le campus de l’USP, à São Paulo. Il s’agit du cinquième centre de ce type lancé par le CNRS en collaboration avec une université, après ceux créés avec l’Université de l’Arizona et l’Université de Chicago, aux États Unis, l’Imperial College London, en Angleterre, et l’Université de Tokyo, au Japon. Un sixième centre a également été établi à l’Université de Sherbrooke, au Canada.
L’IRC a été inauguré début 2024 au Brésil. Où en sont les travaux de coopération, un an après ?
Nous avançons en trois étapes : d’abord, l’identification des communautés scientifiques dans chacun des sept domaines thématiques définis, comme piliers centraux — sciences humaines et sociales, écologie et environnement, océanographie, immunologie, technologies quantiques, sciences de l’informatique, agriculture et décarbonation. Vient ensuite la consolidation autour de projets financés. Enfin, à plus long terme, l’interaction entre disciplines. Après un an, certains domaines sont déjà bien structurés, avec des projets en cours et des communautés actives. D’autres avancent plus progressivement, selon les dynamiques propres à chaque domaine. L’interdisciplinarité, au cœur de l’ambition de l’IRC, sera développée dans une perspective de coopération sur dix ans.
Quels résultats concrets peut-on déjà observer ?
Plusieurs workshops ont été organisés, à São Paulo et en France, dans les domaines des sciences sociales, de l’informatique, de l’immunologie et de l’écologie/environnement. Il y a eu aussi un atelier virtuel en technologies quantiques, un workshop présentiel en agriculture et décarbonation, et un autre, en océanographie, est en préparation. Certaines communautés ont déjà soumis des projets, notamment dans le cadre de l’appel commun ANR-FAPESP. Des bourses de doctorat vont bientôt démarrer. Surtout, plusieurs chercheurs du CNRS sont déjà en poste au Brésil : un en immunologie, au campus de l’USP à Ribeirão Preto, trois en sciences humaines et sociales, installés sur le campus Butantã, à São Paulo et moi-même pour la recherche en ingénierie.
Comment l’IRC contribue-t-il à la formation de nouveaux chercheurs ?
Dès son lancement, l’IRC CNRS-USP a eu un effet amplificateur, attirant ainsi l’attention des chercheurs français. Depuis, la participation aux appels à projets franco-brésiliens – notamment ceux de l’ANR – a doublé. Pour soutenir cette dynamique, un programme de doctorat conjoint – le PhD Joint Programme – a été mis en place : chaque année, l’USP et le CNRS accordent chacun cinq bourses de thèse, permettant la création de binômes – un chercheur de l’USP et un du CNRS – qui encadrent chacun un doctorant. Ces équipes franco-brésiliennes contribueront à forger une nouvelle génération scientifique, portée par l’esprit collaboratif et interdisciplinaire du centre.
Ce programme de doctorat est-il limité aux sept domaines scientifiques définis par le centre ?
Non. Il a justement été conçu pour aller au-delà du cadre fixe des sept piliers thématiques. L’objectif est de maintenir une structure dynamique et flexible, capable d’évoluer en fonction des besoins de la coopération. Par exemple, même si l’ingénierie ou la physique nucléaire ne figurent pas parmi les domaines actuellement retenus, des projets de thèse dans ces champs peuvent tout à fait être soutenus dans le cadre du programme. Nous avons tout intérêt à collaborer avec d’autres domaines pour aborder ensemble des défis scientifiques de plus en plus complexes auxquels nous ne pouvons plus répondre en restant à l’intérieur de nos frontières (géographiques et disciplinaires) respectives.
Quels sont les engagements financiers respectifs de la FAPESP, de l’USP et du CNRS dans le cadre de ce programme ?
Les trois institutions ont signé un accord prévoyant un investissement de 30 millions de reais BRL par la FAPESP dans l’IRC de l’USP. Cette somme finance des bourses de doctorat et de post-doctorat, des workshops, ainsi que des équipements, exclusivement pour des projets menés à l’USP par des chercheurs du CNRS en collaboration avec leurs collègues brésiliens. Parallèlement, l’USP et le CNRS financent chacun cinq bourses de thèse dans le cadre du PhD Joint Programme. Le CNRS mobilise également d’autres instruments de coopération internationale : il soutient des projets internationaux, ainsi que d’autres programmes de recherche bilatéraux. Il prend aussi en charge les salaires des chercheurs français envoyés au Brésil pour des séjours de longue durée, souvent accompagnés de leurs familles.
Ce modèle de l’IRC pourra-t-il s’étendre à d’autres universités de São Paulo ?
Oui, tout à fait. Inspirée par la dynamique créée autour du partenariat CNRS-USP, la FAPESP a décidé d’élargir cette initiative à d’autres institutions. Elle propose désormais à chaque université — comme l’Unifesp [Université Fédérale de São Paulo], l’Unicamp [Université d’État de Campinas] ou d’autres — la possibilité de créer jusqu’à trois centres internationaux de recherche, chacun bénéficiant du même financement de 30 millions de reais BRL. Le Centre CNRS-USP est donc le premier de cette série, mais il ouvre la voie à d’autres partenariats internationaux structurés.
Votre propre recherche porte sur les micro et les nanotechnologies, n’est-ce pas ?
Oui, tout à fait. Même si mes fonctions actuelles sont très prenantes, j’ai tenu à poursuivre une activité scientifique. Je viens d’un laboratoire à Toulouse spécialisé en informatique, robotique, micro et nanotechnologies que j’ai dirigé pendant les six années précédant mon arrivée au Brésil et avec lequel je continue à collaborer. Par ailleurs, ma venue au Brésil en 2022 s’est faite dans le cadre d’un projet de recherche avec une équipe du département de mécanique de l’UFRJ, dans le domaine des métamatériaux mécaniques. Depuis, j’ai commencé à établir des collaborations plus larges avec des chercheurs à São Paulo et à São Carlos. Nous travaillons actuellement à la construction de projets conjoints dans le domaine des microsystèmes électromécaniques. J’y ai rencontré des équipes scientifiques remarquables, à la fois du point de vue théorique et expérimental, avec lesquelles le dialogue est très prometteur.